Région parisienne - France

Eric Patrizio

Laisser le temps au temps

Lors d’un simple vagabondage Internet, au détour d’un lien à priori anodin, j’ai été interpellé par un article s’intitulant « Apprendre à jouer de la guitare en six mois ? ». L’auteur explique comment, en l’espace de quelques mois, il a appris à jouer de la guitare au point de pouvoir se lancer dans des improvisations.

Quelle claque ! En effet, comme je l’ai déjà évoqué dans un article précédent, j’ai pratiqué pendant une dizaine d’années la batterie. Et il m’a fallu un bon bout de temps pour commencer à me sentir un minimum à l’aise dans certains styles. Suis-je passé à côté de quelque chose ?

Je me suis alors souvenu d’une soirée magique passée en compagnie d’un ami, excellent guitariste de surcroit, au festival de Jazz Banlieues Bleues. A cette occasion, nous avons eu l’extrême privilège d’assister à l’un des derniers concerts de Max Roach, batteur emblématique du Bebop ayant joué avec tous les grands dont Charlie Parker et Miles Davis. Durant toute la première partie de sa prestation, seul sur scène installé derrière sa batterie, il interprète des rythmes africains n’exploitant uniquement que les tomes de son instrument. Et, au moment où son pianiste entre enfin en scène, il change de position, lève son bras droit en direction de sa cymbale ride et lance un chabada. Oui, c’est bien cela, un simple chabada, le rythme de base que tous les batteurs apprennent à jouer lors de leur première leçon de Jazz. Trois notes, une noire et deux croches ternaires jouées sur la ride, avec une accentuation charleston sur les deuxième et quatrième temps de chaque mesure, le fameux « after beat ». Point final, enfantin ! Sauf que dans le cas présent, lorsque la cymbale de Monsieur Roach a commencé à vibrer, la salle s’est figée, le temps s’est arrêté, les poils se sont hérissés, l’énergie nous a traversé. Le son scintille, vole, nous caresse, bref, ça swingue ! Le mot est lâché, le swing, le Saint Graal de tous les musiciens de Jazz. On a beau travailler, lire, écouter, cogiter sur le sujet, mais rien à faire, le swing ne s’apprend pas, il ne se joue pas dans le mental, le swing se vit, s’intègre dans le corps, dans chaque cellule. La quête d’une vie. Max Roach est décédé en 2007 à 83 ans dont 60 ans de carrière.

A ce stade, mon interprétation de l’article que je venais de lire était en train d’évoluer. Évidemment, impossible d’apprendre à jouer de la guitare en six mois. En revanche, l’article met en lumière à quel point nous vivons dans une période ou l’immédiateté et la simplification priment :

  • Nous avons faim, nous nous faisons livrer,
  • Nous avons mal au ventre, nous prenons un médicament qui nous soulage,
  • Nous voulons voir un film, nous le téléchargeons,
  • Nous voulons lire un livre, nous l’achetons en ligne,
  • Nous voulons partir, nous prenons un avion,
  • Nous rencontrons une difficulté personnelle, nous changeons de vie,
  • Nous rencontrons une difficulté professionnelle, nous changeons d’employeur,
  • Nous voulons créer une entreprise, nous adoptons le statut d’auto-entrepreneur,
  • Nous voulons jouer de la guitare, nous suivons un cours sur YouTube … et voilà, simple non, et Wes Montgomery se retourne dans sa tombe !

Mes quinze années d’expérience dans l’édition de logiciels m’ont prouvé qu’il faut du temps pour apporter de la valeur. Durant cette période, les technologies et les méthodologies ont évolué de manière prodigieuse. En conséquence, les cycles de développements se sont réduits tout en apportant une qualité supérieure. Néanmoins, il ne faut surtout pas croire que l’on puisse créer un logiciel professionnel rapidement, n’en déplaise aux adaptes de la méthode RAD. En effet, la chaine industrielle à mettre en place est lourde : Monter une équipe et des compétences, analyser le marcher, marketer, commercialiser, accueillir et fidéliser les clients, etc. Pour ce faire, il est nécessaire d’investir dans tous les sens du terme, d’être patient et passionné. Bâtir un business pérenne, c’est long !

Le 21ème siècle est maintenant bien entamé, notre civilisation ne cesse de progresser à la vitesse grand V : Transports, communication, médecine, confort, etc. La loi de Moore semble ne pas s’appliquer qu’à l’informatique. Mais cette progression n’est-elle pas trop rapide ? Ne faudrait-il pas retrouver un temps de recul, de réflexion et d’intégration ? Prendre le temps de vivre, tout simplement.

En guise de conclusion, je vais citer la réponse à une boutade d’un ami psychothérapeute. Je lui disais en blaguant : « Finalement, ça peut être utile de venir te voir ! ». Il m’a répondu : « Absolument, mais ce qui est important, c’est de persévérer dans la mesure où c’est un processus long. »

4 Commentaires

  1. Eric Patrizio (Auteur de l'article)

    Je tiens à apporter un commentaire à mon post : je ne juge pas l’auteur de l’article qui est à la source de ma réflexion. Bien au contraire, d’autant que je ne connais pas cette personne, impossible donc d’apprécier le contexte et le background de son activité artistique. En revanche, je le remercie dans la mesure où j’ai projeté ma propre expérience en le lisant, ce qui m’a permis d’avancer.
    http://www.camilleroux.com/2015/07/08/comment-jai-appris-la-guitare-electrique-en-6-mois/

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  2. Eric Patrizio (Auteur de l'article)

    Je ne peux m’empêcher de penser au « groove », le pendant du « swing » en rock et en blues. C’est très simple, il suffit de jouer au fond du temps, et ensuite un simple rythme binaire « sonne », « envoie du lourd » !?! Idem, cette simplicité est complexe à atteindre, surtout si elle est intellectualisée. Écouter John Bonham, le batteur légendaire de Led Zepplin, permet d’appréhender le concept. A bon entendeur … 😉

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  3. Eric Patrizio (Auteur de l'article)

    Article très intéressant sur Numerama :
    Google AMP, ou quand notre impatience menace le Web ouvert
    Vite, toujours plus vite !!

    http://www.numerama.com/tech/148181-google-amp-ou-quand-notre-impatience-menace-le-web-ouvert.html

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  4. Eric Patrizio (Auteur de l'article)

    Patience, persévérance, rigueur, organisation : ses valeurs, dont la dimension temporelle est très forte, sont essentielles pour préparer et courir un marathon !

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