Région parisienne - France

Eric Patrizio

Activité professionnelle, un changement de paradigme

Je suis d’origine italienne. Mes parents sont arrivés en France durant les années soixante, sans le moindre sous en poche, tout simplement pour travailler. Et ils ont effectivement pu travailler, rapidement, facilement, dans de bonnes conditions. Et ils ont même pu étudier, en parallèle. Bénéficiant certes d’une période socio-économique faste, confiante, insouciante, l’ascenseur social a fonctionné à plein régime. J’ai ainsi eu la chance de naître, puis de grandir, dans un environnement privilégié, sans ne jamais manquer de rien.

Mon père m’a élevé avec cette maxime : « Grâce au travail en général, et à l’école en particulier, la France te permettra de réaliser tous tes rêves ! ». OK, très bien, allons-y alors, tête baissée ! C’était parti pour des études supérieures : Baccalauréat scientifique, maîtrise de mathématiques pures, préparation à l’agrégation, pour conclure avec un troisième cycle en informatique. Grâce à ce parcours académique, j’avais enfin obtenu mon passeport pour une entrée directe dans la vie active avec un emploi qualifié. Il y a 16 ans, déjà.

J’ai commencé à apprendre mon métier de développeur chez un éditeur de logiciels, pour ensuite évoluer au sein d’une société de services, les fameuses SSII très en vogue à cette époque. Durant cette période, je me suis orienté vers les technologies web qui avaient le vent en poupe, notamment la plateforme LAMP naissante, qui est aujourd’hui toujours d’actualité.

Rapidement, me sentant étriqué, parfois frustré, dans ce qui m’était proposé, j’ai alors créé ma propre entreprise, tête baissée ! Début 2005, une aventure de 10 ans commençait : tout seul au début, puis à deux, puis à trois, sans oublier l’écosystème d’indépendants qui nous prêtait main forte lorsque nécessaire. Dix années à la tête d’une TPE, cela s’apparente à courir plusieurs marathons les uns à la suite des autres au rythme d’un 100 mètres : prospection, suivi commercial, gestion de projets, activités opérationnelles, relations fournisseurs, ressources humaines, etc. le multitâches était de rigueur. C’était passionnant, c’était épuisant … Mieux valait ne pas y penser, ne pas se poser de questions, jusqu’au jour où mon corps m’a dit stop. Heureusement, j’ai su être attentif à cette première alerte, essentiellement grâce à mon entourage.

A peine relevé de ce KO tant inattendu que soudain, plusieurs questions existentielles émergèrent :

  • « Pourquoi je travaille ainsi ? »
  • « Est-ce bien pour moi de travailler ainsi ? »
  • « Quel sens donner à mon activité ? »
  • « Quel sens donner à ma vie ?! »
  • … et tant d’autres …

Bbbbrrrr, j’en frisonne encore, car lorsque cela arrive on se sent pris au dépourvu, seul, apeuré, au bord du précipice, en plein état de régression. Toutes les certitudes et les repères s’écroulent. D’autant que lorsque j’ai abordé le sujet avec mon père, il m’a rétorqué : « Mais pourquoi te poses tu tant de questions ? C’est absurde ! Tu as un bon job, tu gagnes ta vie, tu as une famille à nourrir et des crédits à rembourser, fonce, la vie est devant toi ! » Oui, très juste, mais NON ! La vie est autant devant moi que derrière moi maintenant, c’est le brouillard complet, je navigue à vue, j’ai besoin de comprendre.

A ce stade, j’ai ressenti le besoin de lever le pied, de prendre de la hauteur, de passer plus de temps avec moi-même et mes proches. C’était de toute façon nécessaire dans mon état.

Étape n°1 : Décisions pragmatiques

Par le biais d’une analyse de mon activité, j’ai constaté à mes dépens que la fameuse règle des 80/20 (80% du chiffre d’affaires s’effectue avec 20% des clients) s’applique très fréquemment ! Ainsi, grâce à un élagage des projets non rentables, accompagné d’un zest d’optimisation du temps, le résultat a été sans appel : de 20 à 30% de temps gagné sans impact financier.

Étape n°2 : Retrouver le plaisir

L’érosion du temps a agi sur mon quotidien de manière insidieuse : Les journées, les tâches, s’enchainaient les unes après les autres, de manière mécanique. La nouveauté n’avait plus d’espace, le plaisir disparaissait inexorablement.

Il était donc devenu urgent de redresser la barre au plus vite, et dans le bon sens. En effet, évoluer dans un environnement technique à la pointe nécessite d’être à jour dans les méthodologies et les outils utilisés. A défaut, la dette technique s’accumule, le fossé se creuse et le combler relève de l’impossible. Je suis alors revenu aux fondamentaux de l’ingénierie : la formation continue. Dans mon cas il s’agissait de me replonger dans l’écosystème PHP : Projets Open Source, frameworks, blogs techniques, conférences, etc. Après un nettoyage des tuyauteries, la flamme s’est rallumée. Résultat à nouveau sans appel : Un dynamisme intellectuel, une satisfaction et un plaisir retrouvés. Et cerise sur le gâteau venant renforcer l’étape 1 : une rentabilité accrue due à l’utilisation de technologies modernes et efficientes.

Étape 3 : Élargir le champ

Il m’a fallu trois bonnes années pour remettre le bateau à flot. C’est important de le préciser car il s’agit d’un processus long, jamais complètement terminé, dont les prises de consciences successives ont pris du temps et ont parfois été traversées non sans difficultés. Sans s’oublier que tout ceci s’accompagnait d’un travail personnel d’introspection tendant vers la connaissance de soi.

A ce stade, les conditions étaient à nouveau réunies pour retrouver une vision plus limpide. Je me suis alors intéressé à des sujets connexes à mon activité : animation d’équipes techniques, différentes formes de management, libération de l’entreprise, holacratie, voire même sociologie et psychologie. Dans ce contexte, je me suis rendu à des conférences et j’ai suivi des formations qui me paraissaient inaccessibles auparavant. J’y ai rencontré des personnes passionnantes qui m’ont beaucoup éclairé et aiguillé dans ma démarche. Aujourd’hui, la quête de sens, le respect de valeurs et l’humain sont au centre de mes préoccupations. Je construis au quotidien, à mon rythme, mon job de demain.

 

Le voici enfin pointer du bout de son nez le changement de paradigme de mon activité professionnelle. Le modèle éducatif qui m’a été inculqué m’orientait vers une carrière toute tracée, sur une belle autoroute rectiligne. Sans rien renier, ce n’est manifestement pas ma voie.

Je ne sais pas si je vais continuer à exercer tel quel mon métier dans les années qui viennent, si je vais au contraire changer du tout au tout, ou, finalement, créer ma propre voie intermédiaire. Tout est possible, et cette incertitude est créatrice. En revanche, ce qui m’anime, c’est de croire qu’il est possible de travailler, et de réussir, autrement. Le modèle actuel de l’entreprise est à mon sens à bout de souffle, il engendre beaucoup trop de souffrances. C’est pourquoi des mouvements alternatifs sont maintenant de plus en plus présents, proactifs, notamment via les réseaux sociaux et les conférences TEDx. Peu importe le contexte socio politico économique sclérosé dans lequel nous évoluons, nous avons le pouvoir de le changer via l’addition de toutes nos actions, aussi minimes soient elles. Et ça marche déjà, comme le prouve le magnifique documentaire « Demain » de Cyril Dion et Mélanie Laurent.

 

Je me suis longtemps posé cette question : « Quels facteurs ont favorisé mon changement de paradigme ? » Je n’ai pas encore de réponse claire à cette question. Pour l’instant, je dirais qu’il s’agit d’avoir accepté mon mal être, accepté qu’il venait de moi, pas des autres, et mis au centre de ma vie la résolution de celui-ci. Les voyages intérieurs font grandir.

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